Questionnements méthodologiques

Situation Scientifique

Dans un contexte de société et territoires en mouvement, culture, science et urbanisme figurent comme trois champs actifs du renouvellement des études sur le territoire, où la mobilité prend une place toujours plus croissante. Une place d’autant plus importante qu’elle invite à revisiter les approches méthodologiques comme le précise d’ailleurs Büscher & al. (2011) en évoquant le tournant mobilitaire comme vecteur de transformations des sciences sociales et générateur de paysages théorique et méthodologique alternatifs. Ce tournant très impliquant ne fait pas référence seulement aux mobilités en tant que mouvement mais aussi à ce qu’elles modifient, génèrent et transforment en termes de territoire et de rapports à l’environnement (Büscher & al., 2011). Il ne s’agit pas, en effet, de comprendre seulement comment les individus donnent sens au monde, mais aussi et surtout, de mieux appréhender comment physiquement et socialement ils façonnent et produisent le monde, à partir des lieux qu’ils parcourent et fréquentent, de la co-présence dont ils s’arrangent, des représentations qu’ils mobilisent et des histoires qu’ils construisent. De là, le champ des mobilités est sans doute celui où les besoins de méthodologies et d’outils d’analyse et de représentations appropriés paraissent depuis quelques années les plus prolixes. Un champ également qui semble orienter le rapprochement des chercheurs et des artistes pour de nouvelles appréhensions du monde et de nouvelles « traductions » de la complexité produite par les nombreux bouleversements (culturels, sociaux, économiques, écologiques) qui transforment l’analyse et la compréhension de l’inscription spatiale des sociétés.

Aussi, cette école thématique se situe à la croisée de trois observations majeures :

1/ La première a trait à l’évolution des territoires et au poids toujours plus important des mobilités sur ses transformations, entraînant outre de nouvelles problématiques (et donc aussi sensibilités) environnementales, un renouvellement des regards portés sur la dialectique «mobilité –fixité» qui constitue une des problématiques urbaines majeures. En ce sens, l’aménagement ne se réduit pas seulement à une quête de qualité des formes architecturales (le plein, le fond, le fixe) statiques qui ordonneraient en creux la structure urbaine, mais intègre aussi une dimension plus dynamique œuvrant à la qualité des paysages et comprenant l’esthétique des espaces de la mobilité (le vide, la forme, le mouvement). Cette prégnance croissante de la mobilité dans les sociétés (et l’intérêt pour les transformations qu’elle induit) s’inscrit elle-même dans l’émergence de deux courants de recherche:

    • le premier est celui lié au courant non représentationnel (Lorimer, 2005, Thrift, 2007) où les dimensions sensibles et émotionnelles ont une valeur heuristique forte. Labussière& Aldhuy (2012), rappellent d’ailleurs que «d’un point de vue méthodologique, ce courant s’est  inspiré du domaine des arts (théâtre, danse, musique) en raison de leur capacité à développer des approches non-discursives ouvertes aux questions de la performativité (…) – au sens de langages capables de constituer un monde qui confère à l’action son opérativité» (Labussière & Aldhuy, 2012, p.5). Les métaphores du rythme et du mouvement des corps à l’origine des partitions chorégraphiques ont également nourri quelques champs de la géographie, et particulièrement la time-géographie (Haldrup, 2011). De ce point de vue, la pratique artistique constitue une entrée de l’approche sensible des environnements, mais non exclusive. Pour autant, cette approche ne peut que renforcer les modalités d’appréhension et de restitution de données liées aux sensibilités et aux  émotions, tant en effet, comme le souligne Nathalie Blanc (2012), «des normes ‘sensorielles’ se créent alors et se déclinent cette fois dans les politiques de l’environnement et les pratiques de l’aménagementet du ‘paysagisme’ auxquelles participent les artistes» (Blanc, 2012).
    • le second est lié à l’irruption de la question spatiale dans les champs artistiques qui, sans être une nouveauté, implique cependant des rapprochements théoriques, méthodologiques et esthétiques (voire éthiques) de plus en plus significatifs avec les sciences du territoire. On pense en premier lieu au Land Art (Tiberghien, 1995 ; Volvey, 2008) qui poursuit le façonnement, l’inscription et la valorisation de la nature en ville au même titre qu’il participe au renouvellement des formes de « paysagement » de la ville (Berque, 1990). 

Cette thématique des sciences de l’esthétique a aussi fait l’objet de nombreux colloques dans le domaine de la géographie, des sciences du paysage. Au-delà de la spatialisation de l’art, le tournant spatial implique par ailleurs un ensemble de questionnements adressés par les chercheurs en sciences politiques sur la place de l’artiste et de la contestation de l’artiste dans l’espace public (Arnaud, 2008 ; Geoffrey, 2012). Si le tournant spatial en art ne constitue pas un renouveau du côté des pratiques artistiques, il a certainement suscité par sa visibilité dans l’espace public, la curiosité d’autres chercheurs que ceux issus de l’histoire de l’art ou de l’esthétique.

2/ La deuxième observation a trait au développement et à la diversité des formes d’appréhension sensible et cognitive des modes d’habiter et des rapports à l’environnement des individus qui se manifestent dans les recherches contemporaines. Et ce particulièrement du côté des méthodes in situ, qui visent à comprendre conjointement le contexte sensible et pragmatique, le symbolique et le normatif, le formel et l’informel, enfin, dans le domaine qui nous intéresse, autant la rhétorique du cheminement que celle de la fixité. De plus, le développement des méthodes pour révéler les pratiques in-situ dépasse de loin le champ des sciences sociales. Concomitamment, les artistes s’intéressent aux lieux qui font office de nouveaux référents de la société urbaine, utilisent l’in-situ comme cadre de création, produisent avec les pratiques habitantes (i.e.Art relationnel de Nicolas Bourriaud), naturalisent la ville, créent de nouvelles écritures fugitives des espaces urbains…Bref produisent des œuvres et réflexions critiques sur la société en mouvement en même temps qu’ils participent à les rendre visibles.

3/ Enfin, la troisième observation est associée à l’implication des artistes et des chercheurs dans les projets de territoire et aux rôles qu’ils prennent dans la construction des réflexions sur le modèle de développement des sociétés et dans la mise en «capabilité» des citoyens mais aussi dans la mise en controverse de questions sociales et environnementales (Blanc, 2012). Citoyenneté, recherche-action et création dans l’espace social vont de pair et constituent une grammaire de l’action publique contemporaine qui tend à être de plus en plus recherchée à des fins de valorisation territoriale (Arnaud, 2008).

 

Une pédagogie au service de la réflexion scientifique et épistémologique

Sans être une thématique nouvelle, tant l’art est partie prenante de projets de territoire, l’originalité de cette école thématique repose sur le rapprochement art et sciences sociales du point de vue méthodologique. En effet, à notre connaissance et nonobstant le nombre important de manifestations, rencontres-débats, programmes de formation (cf. l’art dans la ville, 2010 CAUE de Paris) et surtout de colloques et séminaires ces dernières années, aucune école thématique n’a encore mis au même plan arts et sciences sociales au service de trois méthodes - parcours, iconographie et narrations - de l’in-situ.

Etant entendu la nature du projet à visée de formation, les objectifs pédagogiques sont inséparables des objectifs stratégiques et scientifiques. D’un point de vue scientifique, ils visent à interroger principalement les démarches artistiques et scientifiques (co)entreprises et (co)produites dans le processus de production, de théorisation et de médiation des connaissances, qui ont à voir avec l’analyse des territoires en mouvement. L’objectif est donc de décloisonner les approches artistiques et scientifiques, de donner corps à de véritables synergies en termes de savoir-faire méthodologique dans l’appréhension des formes sensibles liées aux pratiques et imaginaires urbains de la mobilité.

Ainsi dans la perspective méthodologique, l'atelier parcours constituera l’atelier de mise en mouvements et de prise sensorielle avec les espaces. La marche comme mode d’expérience revêt aussi une place importante, permettant de révéler la subjectivité de l’expérience des espaces (Solnit, 2002, Thomas, 2003; 2009). Si les méthodes sensibles sont aujourd’hui assez bien documentées (Grosjean & Thibaud, 2001, Zardini, 2005…), si la place du corps est également majeure dans bon nombre de travaux en sciences sociales (Corbin, 2001; Collot, 2008; Thomas, 2004,2010) leur développement et quelques-unes des formes de validité écologique méritent d’être confrontés au regard de certains artistes expérimentés dans la mise en place de protocoles originaux et dans la valorisation des matériaux récoltés.

Sur ce plan, les méthodes de restitution de l’expérience sensible, qui pourront prendre la forme de l’image, de la carte ou du texte seront également explorées dans les modalités de recueil, d’une part et dans celles de la restitution/valorisation, d’autre part.  

Le travail autour des restitutions sera aussi l’occasion de mieux comprendre comment le recours à certains médias (cartes, image, écriture), mis à l’épreuve dans les démarches artistiques, constituent un enjeu important dans la modification du travail de restitution sur le plan scientifique. 

 Trois temps spécifiques de la mise en œuvre de la démarche méthodologique sont privilégiés : 

    • Conceptualiser : dans cette première phase, que l’on peut identifier comme la phase de « conceptualisation », quelle part est laissée à l’intuition, y a-t-il une esthétique de la question ou du thème de recherche ?
    • Impliquer / s’impliquer : dans le rapport au terrain ou au contexte, comment artistes et chercheurs parviennent-ils à mobiliser des populations de plus en plus sollicitées, comment renouvellent-ils les protocoles pour impliquer les citoyens dans des recherches innovantes ?
    • Restituer : dans la phase de restitution, qu’est-ce qu’artistes et chercheurs peuvent s’apprendre quant à la figuration des données, les méthodes de représentation ou de narration de l’expérience de terrain ? Quelle place au « sensible » dans la restitution de l’expérience ? 

 

 

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